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Ces derniers jours, la religion est revenue au premier plan de l’actualité suite à la mise au jour d’une affaire d’entrisme religieux à une école primaire de Montréal (l’école Bedford). Dans cette affaire, une douzaine de professeurs auraient été accusés d’avoir créé un climat de travail toxique dans l’école de diverses manières, dont en effectuant de la pression sur des collègues pour qu’ils démissionnent, en refusant l’accès à leur classe à des spécialistes et, on suppose, en employant des pratiques éducatives teintées par leurs convictions religieuses personnelles.
Le terme «entrisme religieux» est ensuite soudainement entré dans le discours, suggérant une sorte de tactique clandestine et concertée de membres d’un groupe religieux pour investir un organisme et la détourner à ses fins. Ce terme, issu du léninisme et du trotskisme, référait d’abord au domaine de l’idéologie. Ce n’est que récemment que ce terme a été appliqué à certaines formes d’islamisme en France, puis récemment au Québec.
Il y a beaucoup à dire sur les événements des derniers jours. La plupart des commentateurs s’entendent pour dire que ces événements révèlent des failles et des lacunes importantes
Dans l’Affaire de Bedford, c’est finalement l’État Québécois qui aura failli à faire appliquer ses propres lois sur ses propres institutions. Le droit des citoyens à des institutions laïques a été brimé sans véritable moyen pour porter plainte à cet égard.
C’est pourquoi le REQ milite pour l’établissement d’un organisme neutre chargé de s’assurer que l’État respecte sa propre Loi sur la laïcité de l’État. Il y a une multitude de raisons, politiques ou administratives pour lesquelles il ne respecterait pas la Loi dans une situation tandis qu’il l’appliquerait avec zèle dans une autre. Une telle application de la laïcité est finalement contraire à l’esprit de la laïcité.
Une chose très troublante dans cette affaire est la demande des partis d’opposition de couper le financement des écoles religieuses privées. On le rappelle, les écoles religieuses sont des institutions privées au même titre que d’autres institutions privées. Ainsi, l’État ne fournit qu’une part du financement normal qu’il offre pour les élèves du public et les parents compensent le reste à travers des frais et des dons. La différence entre les écoles religieuses des autres écoles privées est qu’elles ajoutent, au programme obligatoire du Ministère de l’éducation du Québec, une dimension religieuse qui peut prendre différentes formes.
C’est comme si on disait: la religion a essayé d’entrer dans nos écoles, bien on fera souffrir vos écoles.
Là encore, on constate une incompréhension claire de la laïcité qui implique à la fois la neutralité religieuse de l’État, et la liberté religieuse.
Comment ce définancement, qui mènerait à la fermeture d’institutions engagés dans la propagation de la religion, et conséquemment à la migration à contre-coeur des ses instituteurs et ses élèves dans le système public, répondrait au problème d’écoles comme celle de Bedford?
Le dernier point que je soulève est probablement le plus contentieux: la laïcité doit s’appliquer non seulement aux religions dites «traditionnelles» (christianisme, islam, judaïsme), mais aussi aux idéologies (humanisme athée, marxisme et les diverses idéologies qui en découlent : théorie critique, théorie du genre, etc.)
Fondamentalement, la laïcité reconnaît qu’il existe divers systèmes de croyances au sein d’une société qui ont des visions différentes, parfois incompatibles, de ce que constitue «la vie bonne», mais que l’État demeure neutre par rapport à ces différentes conceptions. Pour les chrétiens, la vie bonne peut se résumer à connaître Dieu et celui qu’il a envoyé, Jésus-Christ (Jean 17.3). Pour le système idéologique dominant, que le théologien chrétien Carl Trueman, appelle l’expressivisme individualiste, consiste à découvrir au fond de soi sa véritable identité, et que le but de la vie est d’exprimer individuellement cette identité, qu’elle soit sexuelle, ou ethnique, etc.
La laïcité dans un contexte éducatif ne veut pas dire que le programme d’enseignement ne peut pas parler de ces systèmes de croyances en tant que faits sociaux réels (il existe des musulmans, il existe des gens qui s’identifient comme non-binaires,, etc.). Plutôt, la neutralité religieuse impose à l’État qu’il ne peut dire: tel système de croyance est vrai et bon, tandis que tel autre est faux et nuisible. Un parent chrétien ne devrait pas craindre que le système d’éducation puisse nuire à la foi de son enfant, ni s’attendre à ce qu’il la renforce. Ce devrait être la même chose pour un parent musulman, athée, humaniste, etc.
Ce qui nous amène au point de friction principal et qui sera récurrent entre les groupes religieux et le système d’éducation québécois: l’éducation à la sexualité. C’est déjà le cas en Ontario et on constate qu’il s’agit du point qui rend le plus mal à l’aise certains parents et professeurs. Au-delà des questions de pudeur, le problème principal est qu’il inclut des jugements moraux sur certaines conceptions du genre et de la sexualité, ce faisant, rompant le pacte laïc. Lorsque le programme officiel du gouvernement du Québec affirme que «Les interventions réalisées auprès des adolescents devraient: › accompagner leur réflexion sur leur identité de genre et sur certains effets nuisibles des versions traditionnelles de la masculinité et de la féminité qui peuvent affecter leurs relations interpersonnelles et leurs comportements sexuels », il pose un jugement moral sur notre conception de la sexualité.
Il va sans dire que certains des enseignements promus au sein de l’école laïque québécoise étaient, il y a quelques années à peine, promus qu’au sein de groupes idéologiques très marginaux. Des concepts propres à des penseurs politiques considérés radicaux comme Herbert Marcuse, ou Judith Butler, se retrouvent maintenant enseignés par l’État comme vérité.
C’est là le nœud du problème: la laïcité ne peut fonctionner qu’à travers le consentement et la participation de tous les québécois. Si on condamne l’entrisme religieux au sein d’une école primaire, mais qu’on ignore l’entrisme idéologique au sein des facultés d’éducation et du ministère, on rompt le socle de confiance qui rend la laïcité réalisable.
Encore une fois, la création d’un observatoire de la laïcité, composé d’experts et de membres de différentes convictions idéologiques, de sorte qu’aucun groupe puisse imposer sa conception de la vie bonne sur les autres, est nécessaire pour une laïcité québécoise viable à long terme.